La réponse posthume de Charb aux « escrocs de l'islamophobie »

Ce jeudi, « L'Obs » publie des extraits du livre de Charb : « Lettre ouverte aux escrocs de l'islamophobie qui font le jeu des racistes ». Terminé juste avant son assassinat, le directeur de « Charlie Hebdo », dans celui-ci, répond aux pourfendeurs de son journal (1). Parmi eux, certains ont-ils une responsabilité dans le massacre commis, à Paris, il y a trois mois ?

Avec onze de ses amis, collègues du journal satirique libertaire « Charlie Hebdo », deux policiers et un agent de maintenance, le 7 janvier dernier, au coeur de la capitale française, Stéphane Charbonnier (47 ans), dit « Charb », était assassiné par deux terroristes français, les frères Cherif et Saïd Kouachi. Un duo fusionnel paumé de la société inégalitaire ayant trouvé dans leur engagement aveugle pour un islam radical une raison de vivre. Et de mourir, les armes à la main.

L'attentat commis par les frères Kouachi sera ensuite revendiqué par Al-Qaïda dans la péninsule Arabique (AQPA), la branche yéménite de l'organisation terroriste internationale fondée et dirigée par Oussama Ben Laden. Le massacre de la rédaction de « Charlie Hebdo », précédant celui contre l'épicerie juive de la Porte de Vincennes (quatre personnes assassinées par haine raciste), sera également récupéré dans la propagande de l'organisation de l'« Etat Islamique » (Daesh), une dissidence d'Al-Qaïda responsable, en Syrie et en Irak,  d'épuration et de massacres de masse sur base ethnique et religieuse. 



Rédaction décimée
Dans son édition de ce jeudi 16 avril, l'hebdomadaire français « L'Obs » (le nouveau titre du « Nouvel Observateur ») révèle que juste avant son assassinat, le directeur de la rédaction de « Charlie Hebdo » venait de mettre les dernières phrases à « un livre où il répondait aux accusations d’islamophobie pesant sur son journal. » En exclusivité, « L’Obs » en publie des extraits.

Le livre de Charb est édité à titre posthume par les éditions Les Echappés, fondées en 2008 par « Charlie Hebdo » et dirigées par Laurent Sourisseau, alias « Riss », son actuel directeur de publication (il est également, comme Charb avant lui, mis sur la liste noire des terroristes islamistes). L'ouvrage de Charb porte un titre des plus explicites : « Lettre ouverte aux escrocs de l'islamophobie qui font le jeu des racistes ». Pour son auteur, « ce livre entendait en finir une fois pour toutes avec les soupçons de dérive qui pesaient sur une rédaction aujourd'hui décimée », note « L'Obs ».

Un étrange et scandaleux amalgame
Ces dernières années, les critiques avaient en effet été incessantes. « Charlie Hebdo » fut « accusé de multiplier les provocations contre les musulmans. ». Le comble pour un journal antifasciste, il avait même été désigné comme complice du Front national, la matrice principale en France du racisme et de sa version anti-musulmane, un pseudopode d'extrême droite adapté à la législation antiraciste et « dynamisé » par les attentats du 11-Septembre, commis à New-York en 2001 par Al-Qaïda.

L'un des patrons du « Monde Diplomatique », Alain Gresh, avait ainsi fait, en septembre 2012, un étrange et scandaleux amalgame entre « Charlie Hebdo » et un journal de gauche, imaginé par lui seul, dans l'Allemagne nazie qui s'en serait pris aux juifs. Dans son livre, Charb répond à Gresh en recontextualisant tout simplement les deux périodes. Ce qu'avait oublié étrangement de faire l'intellectuel de gauche du « Monde Diplo » et auteur, en 2000, avec le leader musulman Tareq Ramadan du livre « L'Islam en questions » (éditions Actes Sud).

Dans son dernier écrit, le directeur de « Charlie » passe également en revue les dérives racistes des « années Sarko ». Extrait : « En France, la parole raciste a été largement libérée par Sarkozy et son débat sur l'identité nationale. Lorsque la plus haute autorité de l'État s'adresse aux cons et aux salauds en leur disant : "lâchez-vous, les gars", que croyez-vous que font les cons et les salauds ? Ils se mettent à dire publiquement ce qu'ils se contentaient, jusque-là, de beugler à la fin des repas de famille trop arrosés. »

Accusé comme « islamophobe », Charb revient justement sur cette dite « islamophobie ». Il la considère comme « un concept mal taillé », en précisant ceci : « Les militants communautaristes qui essaient d'imposer aux autorités judiciaires et politiques la notion d'''islamophobie'' n'ont pas d'autre but que de pousser les victimes de racisme à s'affirmer musulmanes (…). Si demain les musulmans de France se convertissent au catholicisme ou bien renoncent à toute religion, ça ne changera rien au discours des racistes : ces étrangers ou ces Français d'origine étrangère seront toujours désignés comme responsables de tous les maux. ». CQFD.



-> Rassemblement à Genève en hommage aux victimes de l'attentat
contre la rédaction de « Charlie Hebdo » | AFP/ouest-france.fr


« Paternalisme de gauche »
Charb estime encore qu'« avoir peur est un droit ». Même avoir peur de la religion musulmane. A ce sujet, il précise qu'« avoir peur de l'islam est sans doute crétin, absurde, et plein d'autres choses encore, mais ce n'est pas un délit. (…) le problème, ce n'est ni le Coran ni la Bible, romans soporifiques, incohérents et mal écrits, mais le fidèle qui lit le Coran ou la Bible comme on lit la notice de montage d'une étagère Ikea. »

Face à la réaction émotionnelle, suscitée par une récupération orchestrée par des mouvements religieux (islamistes) et politiques (dont quelques chapelles d'extrême gauche), qui s'est exprimée à partir de 2005, après la publication des caricatures de Mahomet, Charb dénonce le rôle du « dégueulasse paternalisme de gauche ».

Pour mener à bien sa démonstration le concernant, il pose une question simple : « 
En vertu de quelle théorie tordue, l'humour serait-il moins compatible avec l'islam qu'avec n'importe quelle autre religion ? (…) Si on laisse entendre qu'on peut rire de tout, sauf de certains aspects de l'islam parce que les musulmans sont beaucoup plus susceptibles que le reste de la population, que fait-on, sinon de la discrimination ? Il serait temps d'en finir avec ce paternalisme dégueulasse de l'intellectuel bourgeois blanc ''de gauche'' qui cherche à exister auprès de ''pauvres malheureux sous-éduqués'' », selon leur vision sectaire produite par une observation sélective et partisan de l'évolution de notre société.

En quelque sorte, et avec d'autres mots, Charb y cible un véritable paternalisme de type néocolonial, présent y compris au sein des rangs de la gauche. Rien de moins. Et, il a raison.

Responsabilité morale ?
Le livre de Charb nous sera utile pour dévoiler les impostures de ceux qui s'adonnent au « Charlie Bashing » (2). Il démontre que ledit « charlisme » - un terme que les « anti-Charlie » ont inventé pour justifier leur procès instruit contre le journal libertaire - est une pure escroquerie. Un subterfuge pour camoufler en réalité une possible responsabilité intellectuelle, morale et politique de certains d'entre-eux dans le 
passage à l'acte des frères Kouachi.

Une responsabilité que d'autres intellectuels - ici, néoconservateurs - ont eu sur l'auteur des attentats perpétrés, en juillet 2011, en Norvège : Anders Breivik (3), un terroriste islamophobe de droite radicale « blanche ».


MANUEL ABRAMOWICZ



Journal en ligne antifasciste et antiraciste  RésistanceS.be  Bruxelles | Jeudi 16 avril 2015  | www.abramowicz.blogspot.be/2015/04/la-reponse-posthume-de-charb-aux.html

« Lettre ouverte aux escrocs de l'islamophobie qui font le jeu des racistes »
de Stéphane Charbonnier, sous le nom de Charb.
Editions Les Echappées
Paris, 96 pages

Sortie : 16 avril 2015



Notes :

  1. Pour rappel, un pourfendeur est, selon le dictionnaire de TV-5 Le Monde, « celui qui pourfend », c'est-à-dire qui « attaque, critique vigoureusement »
  2. Au sujet du « Charlie Bashing », lire mon article « Une réponse de Corcuff au ''Charlie Bashing'' », publié le 26 mars 2015 sur mon blog [en ligne : www.abramowicz.blogspot.be/2015/03/une-reponse-de-corcuff-au-charlie.html ].
  3. Sur le terroriste norvégien d'ultradroite Anders Behring Breivik, lire mon article « Attentats d'extrême droite d'Oslo : qui sont les responsables ? », publié le 24 juillet 2011 sur le site du journal RésistanceS.be [en ligne : www.resistances.be/norvege2011.html ].